J’EXISTE !
Vous avez certainement entendu parler de l’Agile, du Management 3.0, de la Holacratie, ou encore d’entreprise libérée. Ces concepts, qui se développent depuis le début des années 2000, voire au milieu du 20ème siècle pour le Lean, sont-ils réellement si nouveaux dans ce qu’ils sous-tendent ? Qu’est-ce qui les relie et les rend finalement si indispensables à beaucoup de ceux qui les ont expérimentés ?
Le contrat de travail a ceci de particulier, qu’il crée une relation de subordination entre l’employeur et le collaborateur. La relation de hiérarchie et de dépendance, inhérente au contrat de travail, a eu pour longtemps comme conséquence une quasi servitude de l’employé vis-à-vis de son employeur, interdisant presque autant l’initiative que l’expression d’une possibilité d’améliorer l’existant, le subordonné n’étant « par défaut », pas en capacité de proposer mieux que ce qui existe. Or, Hegel nous rappelle que le Désir de Reconnaissance est une composante centrale de l’équilibre de l’Humain.
Dès lors, me semble-t-il, sommes-nous confrontés à un paradoxe : comment concilier la notion de subordination d’une part, (dépendre, dans ses fonctions, de quelqu’un d’autre qui décide) et le désir de Reconnaissance d’autre part, au sens de Hegel, que l’on pourrait résumer ainsi : J’EXISTE !
Comme très bien expliqué par l’excellent travail du Percepteur (https://www.youtube.com/watch?v=3yGf52XWPL4) il ne s’agit ni d’être reconnu pour notre capacité à être le Meilleur, ni aucunement non plus, de vouloir « tirer la couverture à soi » ou même de réclamer des lauriers pour les tâches accomplies.
Au contraire, le Désir de Reconnaissance chez Hegel est à la fois bien plus humble, et bien plus profond. Il est plus humble, car il ne revendique que la simple prise en compte d’un avis, d’une opinion, d’une réalisation pour ce qu’elle est : une marque de l’expression d’un individu, que le résultat soit bon, mauvais, ou même insignifiant. Il s’agit uniquement de Reconnaître que cette expression existe.
Il est aussi plus profond car, s’il ne revendique pas une quelconque supériorité, il ne demande pas moins que la conscientisation par son interlocuteur d’un désir central pour tout à chacun : observer dans son environnement la preuve de sa propre existence dans le monde.
C’est souvent là, me semble-t-il que la confusion peut se faire en entreprise, et d’autant plus dans les contextes où la hiérarchie et/ou l’ordre sont exacerbés : le chef, ou le responsable, ou le manager (les noms sont interchangeables tant que les comportements demeurent), peut confondre le « J’existe », qui appelle à la considération en temps qu’Humain, avec le – « Je suis meilleur » (que toi) -, qui peut sonner comme une menace, non pas pour l’entreprise, mais pour le supérieur.
Ce que le LEAN, l’AGILE, le Management 3.0, etc. ont bien compris, c’est que la responsabilisation des employés (on dira membres de l’équipe), ou mieux, de l’équipe elle-même, conjuguent deux avantages décisifs. Ils tendent d’abord à satisfaire le désir de Reconnaissance en valorisant l’initiative et l’expression des opinions d’amélioration au sein de l’équipe et de son écosystème : ce n’est plus le chef qui sait tout qui décide, chacun amène sa pierre à l’édifice et prend les décisions à son niveau (c’est celui qui fait qui sait). Ils valorisent ensuite les résultats de l’Equipe autonome, plutôt que ceux de l’individu (A Great Team is better than a Team of Great), amenant davantage à travailler ensemble pour l’entreprise, plutôt que l’un contre l’autre pour des résultats individuels (avec les travers que l’on connait : manque de transparence, manque de confiance, etc.).
Ainsi, en changeant le paradigme, ces cadres de coopérations ne sont pas tellement plébiscités parce qu’ils sont nouveaux (le Lean ne l’est pas), que parce qu’ils apportent une réponse pratique à la situation paradoxale d’une relation subordonnée orientée résultat, dans laquelle l’individu peut se sentir pleinement reconnu.